A force de vivre au milieu du travail des étonnantes usines de féerie du cinématographe, j’ai constaté que le film était le seul véhicule possible pour réussir l’équilibre entre le réel et l’irréel, pour hausser une histoire moderne jusqu’à la légende.
Jean Cocteau (lettre inédite à Jean Mounier)
La façade du Madeleine décoré pour la sortie de La Belle et la Bête
– (c) collection privée – D.R –
La Belle et la Bête (1946)
Jean Cocteau signa là son film le plus populaire. C’est avec Pasolini, le poète qui s’est le plus intéressé au cinéma.
A cette époque, il écrit à Jean Mounier :
« Le metteur en scène est-il le véritable auteur d’un film ? Oui, sans conteste, c’est pourquoi, j’ai voulu redevenir metteur en scène, ce qui ne m’était pas arrivé depuis seize ans, où, dans « Les sang d’un poète », il me fallait inventer une technique. Je ne savais rien du cinématographe. Depuis, j’ai appris le métier grâce à l’Eternel Retour et j’en reviens à cette belle phrase de Picasso : « Le métier, c’est ce qui ne s’apprend pas »
(…..) Pour prendre corps à corps ce rêve de tourner « La Belle et la Bête », il me fallait une équipe qui ne formerait qu’un avec moi. Je l’ai, je lui témoigne ma gratitude »
« A force de vivre au milieu du travail des étonnantes usines de féerie du cinématographe, j’ai constaté que le film était le seul véhicule possible pour réussir l’équilibre entre le rêve et l’irréel, pour hausser une histoire moderne jusqu’à la légende. C’est grâce à la confiance d’André Paulvé, grâce à l’amitié de Jean Delannoy que j’ai pu essayer de résoudre le problème (allusion à l’Eternel Retour.ndr). En effet, dans un film, le texte est peu de chose. Il importe de le rendre invisible. La primauté de l’œil sur l’oreille oblige le poète à raconter en silence, à enchaîner les images, à prévoir leur moindre recul et leur moindre relief. »
lettre inédite de Jean Cocteau à Jean Mounier – (c) collection privée – D.R –
Cocteau s’occupait de tout et il surveilla attentivement le lancement de « La Belle et la Bête » comme en font foi les nombreux petits mots qu’il envoyait à Jean Mounier, mots de critiques, de conseils, de félicitations.
Parfois, les critiques sont féroces : « C’est démodé, dans le style 1942, Je veux Gustave Doré, Vermeer, tout ce qu’on veut sauf le Moyen Age… » Cocteau rejette l’influence des Visiteurs du Soir sur son film.
A la fin, il ne cache pas sa satisfaction :
« Mon cher Mounier, Cette fois-ci, la chose est comprise et prend le recul d’un conte. Avant, c’était sans mystère aucun, malgré le talent du dessinateur…Vous pensez bien que je ne mets pas Gustave Doré très haut comme dessinateur mais il a compris le style du conte. Votre J.C. »
lettre inédite de Jean Cocteau à Jean Mounier – (c) collection privée – D.R –
Cocteau va écrire le journal du tournage de la Belle et la Bête (Ed. J.B. Janin – 1946 ) . Page 99, il cite Jean Mounier :
« Jeudi matin,- 8 heures-
Hier, au bistrot d’Epinay, Paulvé déjeunait avec des personnalités importantes de son Conseil d’administration et du journalisme. Mounier me dit : « On compte sur votre film pour relever le cinéma français » Je lui réponds : Il est drôle qu’on m’attaque partout en France et qu’en même temps, on compte sur moi pour sauver le prestige de ce pays qui m’engueule. Je ferais de mon mieux pour que ce film me plaise et plaise à ceux que j’aime, je ne vous promets rien de plus. »
En Juillet 1946, Discina, dans la cour intérieure de son immeuble, organise un Buffet froid où se pressent vedettes et journalistes. Les murs gris et fatigués des immeubles sont tapissés des affiches du film, des photos des acteurs, des dessins qui servirent aux façades. La magie s’est invitée dans ce vieil immeuble du 128 de la rue de la Boétie, qui était encore deux ans auparavant sous la botte Allemande. On fête la renaissance du Cinéma Français.
(c) collection privée – D.R –
Michel Simon, Simone Renant et Jean Cocteau – (c) collection privée – D.R –
Jean Cocteau et Josette Day lors du Gala organisé pour la première du film.
(c) collection privée – D.R –
Les façades des cinémas qui projetaient la Belle et la Bête furent somptueuses et inondaient les trottoirs de Paris et des grandes villes de province, de leur forêt magique, de leurs personnages mystérieux.
Trois peintres de talent avaient été réunis : Jacquelin, Jean Denis Maclès et René Péron.
Deux ébauches inédites de René Péron pour la Belle et la Bête
(c) collection privée – D.R –
C’était toujours la même équipe qui entourait Jean Cocteau dont Georges Auric pour la musique…
Dessin inédit de Georges Auric par Jean Cocteau – (c) collection privée – D.R –
…et Christian Bérard pour les costumes.
Aquarelle inédite de Christian Bérard – (c) collection privée – D.R –
Bérard venait souvent sur le plateau et esquissait des aquarelles où il ébauchait des costumes, lorsqu’il n’était pas satisfait, il les jetait. Jean Mounier en ramassa quelques unes et demanda à l’artiste de les signer, ce que celui-ci fit bien volontiers. Elles sont aujourd’hui dans la famille Mounier.
Dessin de Jacquelin – (c) collection privée – D.R –
Le scénario illustré de la Belle et la Bête est resté dans les Annales du cinéma, mis en page et dessiné par Jacquelin, c’est un livret unique par son élégance, son raffinement et son pouvoir d’évocation.
la belle, la bête à genoux – (c) collection privée – D.R –
Ruy Blas de Pierre Billon (1948)
Le scénario, l’adaptation et les dialogues sont de Jean Cocteau, avec Jean Marais et Danièle Darrieux
Les illustrations de ce dossier promotionnel sont de Jacquelin
– (c) collection privée – D.R –
Un moment à part : le lancement de la Chartreuse de Parme (1948)
– (c) collection privée – D.R –
Le pays est en ruines, le Cinéma, les Arts et les Spectacles vont s’efforcer d’arracher les Français à leurs souvenirs, de leur donner du bonheur, de l’espoir, de l’évasion.
La Chartreuse de Parme ! Le chef d’œuvre de Stendhal, l’icône de la littérature française au cinéma ! On cria au sacrilège. Le metteur en scène, Christian-Jaque se lança dans une fresque servie par de grands acteurs : Gérard Philippe, Maria Casarès, Renée Faure. Le roman aux multiples rebondissements est élagué, on ne garde que l’intrigue amoureuse entre Fabrice, sa tante, (Maria Casares) et la jeune Clélia, la fille du gouverneur de la prison.
Photo prise devant le 128 rue de la Boétie à Paris, siège de la Discina
– (c) collection privée – D.R –
Jean Mounier voulut associer la bienfaisance à la première du film. Il décida de porter secours aux sinistrés de Lorient, un port français martyr.
La tragédie de Lorient (1948)
Elle est expliquée au public sur des prospectus précis et vigoureux. Le débarquement est encore tout proche, les souvenirs sont présents dans toutes les mémoires mais Lorient a une place à part.
En 1944, toute la Bretagne fête sa libération, sauf Lorient qui ne sera libéré que le 8 Mai 1945.
Dessin de René Péron (non signé) – (c) collection privée – D.R –
En effet, en 1940, 40 000 soldats, marins, ouvriers allemands y ont créé une base sous-marine. De septembre 1940 à Janvier 1943, 372 bombardements ravagent la ville cherchant à anéantir la base sous-marine allemande. Celle-ci résiste. Alors, Lorient doit disparaître, un déluge de 60 000 bombes incendiaires sont déversés sur le port et les installations allemandes. Les Lorientais sont entassés dans des caves, des granges, des étables.
Des « Resto du cœur » avant la lettre, le monde du spectacle n’est pas resté insensible.
– (c) collection privée – D.R –
Depuis la fin de la guerre, 10 000 enfants, dont nombreux sont orphelins, mutilés, vivent dans des conditions lamentables… « Pensez aux petits Lorientais » clament les affichettes diffusées par Jean Mounier.
Le 19 Mai 1948, c’est la grande soirée de Gala, au Théâtre des Champs Elysées pour la Première de « La Chartreuse de Parme », sous le patronage du président de la République, Vincent Auriol . Toutes les vedettes viennent, les bras chargés de dons et de colis de vêtements, ils les remettent sous le feu des photographes à des Bretons et Bretonnes en costume régional, perchés sur des camions qui partent ensuite directement pour Lorient. Les femmes, très élégantes, portent des robes superbes, la vie a repris ses droits, les paillettes aussi…
Christian-Jaque, le metteur en scène, en compagnie de sa femme
Renée Faure offre ses cadeaux. (c) collection privée – D.R –
Mais la recette du diner de gala (prix du souper :1000 francs) est reversée intégralement aux Lorientais et financent des centaines de repas distribués aux enfants.
Renée St-Cyr et Marcelle Derrien. (c) collection privée – D.R –
On demandait aux invités et aux professionnels du spectacle de prendre un « filleul » parmi les orphelins et de lui envoyer régulièrement des colis, par exemple, les vêtements de leurs enfants devenus trop petits.
Jean Mounier avec acharnement a continué de relancer tous ses amis. Trente cinq ans après, Maurice Bessy ( la mémoire du cinéma français, aujourd’hui décédé) se souvenait :
– Jean nous harcelait, il voulait que nous ayons tous notre filleul.
– (c) collection privée – D.R –
Orphée (1950)
Le mythe d’Orphée transposé aux années cinquante.
Fasciné par les mythes, Cocteau les a souvent adaptés à l’époque moderne , une façon de fouiller la société et les inconscients. Orphée est, lui aussi, un film culte.
(c) collection privée – D.R –
Jean Marais est au summum de sa beauté. Maria Casarès magistrale et menaçante et Marie Déa cherche à faire oublier le personnage des Visiteurs du Soir.
(c) collection privée – D.R –
La première eut lieu au Colisée que la Société Gaumont venait de restaurer. Le tout Paris s’y pressait sous l’œil impassible de la garde Nationale, des mannequins suprêmement élégants éclairaient le hall d’entrée de leurs somptueuses robes du soir. Sur le trottoir des Champs Elysées, les badauds se pressaient.
(c) collection privée – D.R –
Sur la chaussée, une Citroen noire stationnait et rappelait celle du film qui transporte Maria Casarès, personnifiant la mort . La guerre est oubliée, Paris a repris vie.
(c) collection privée – D.R –
Un scénario illustré, d’une élégance rare et mis en page par René Péron, est remis aux invités.
En 1960, Jean M. Mounier qui travaille pour la maison de distribution CINEDIS, de nouveau s’occupe du lancement du dernier film de Cocteau : LE TESTAMENT D’ ORPHEE.
(c) collection privée – D.R –
« Un film qui n’avait ni queue ni tête mais une âme » comme l’avait écrit le poète.
Casque d’Or (1951)
(c) collection privée – D.R –
Ce film est tiré d’un fait divers du début du XX° siècle, qui se déroula dans le milieu des Apaches. Il est inspiré par la vie d’Aurélie Elie, surnommée Casque d’Or. Simone Signoret, merveilleusement filmée par Becker y est d’une beauté inégalée. Cela restera un de ses plus beaux rôles. La reconstitution historique y est d’une très grande précision.
En particulier, la scène de la fin montrant l’exécution du personnage masculin interprété par Serge Reggiani est la reproduction exacte de la véritable exécution, sur une place, avec la guillotine, le public etc….
(c) collection privée – D.R –
Le cinéaste Jacques Becker avait eu en mains des photos de l’époque et avait repris scrupuleusement chaque détail.
La coupure de journal qui inspira Jacques Becker – (c) collection privée – D.R –
– (c) collection privée – D.R –
1952 : Discina ferme ses portes
C’est la fin d’une décennie prodigieuse.
Jean- Jacques Paulvé, le fils d’André, raconte ses souvenirs dans un livre qu’il prépare et que l’on attend avec impatience.
(c) collection privée – D.R –
La mode des grandes premières et des immenses façades théâtrales décorant l’entrée des cinémas dura de nombreuses années, les Champs Elysées avaient alors un panache disparu de nos jours.
L’image, l’évasion, à cette époque passaient par le grand écran dont on commençait déjà à dire qu’il était en crise.
Retrouvez la suite de la biographie de Jean Mounier au chapitre suivant :
Les années cinquante consacrée à la carrière de Jean Mounier chez Cocinor avec la création du slogan B.B. (pour Et Dieu Créa la Femme)…
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