Cinéma Jean Mounier

Promenade dans le Cinéma d'hier à travers l'itinéraire d'un pionnier de la communication cinématographique, Jean Marie Mounier

Hommage à André Paulvé

(c) collection privée – D.R

Intrépide, indépendant, respectueux des artistes, ambitieux, le producteur André Paulvé (1898-1982) est un personnage à part. Sous l’occupation, il sut défendre la qualité et l’originalité de la création française et favorisa après la guerre la renaissance du cinéma.

Il fonde en 1938 la société parisienne de distribution et de production cinématographique, Discina. Dès Mai 39, huit mois après sa création, la nouvelle société passe un contrat avec la Scalera Film de Rome, contrat qui est rompu juste avant l’exode. André Paulvé va alors se lier avec la filiale de Paris, correspondante de la Scalera. C’est ainsi qu’elle importe et exploite en France les films produits par la société italienne et des films réalisés en Italie en français comme La Comédie du Bonheur de Marcel l’Herbier, La Boite aux rêves d’Yves Allégret, plus tard, elle s’engage sur le projet des Enfants du paradis, projet qu’il faudra abandonner après la capitulation de l’Italie et qui sera repris par Pathé.

Scalera co-produit avec Discina Histoire de rire de Marcel l’Herbier, L’assassin a peur la nuit de Jean Delannoy, Les mystères de Paris de Jacques de Baroncelli, Les Visiteurs du soir de Marcel Carné et L’Eternel retour de Jean Delannoy sur un scénario de Cocteau.

A la fin de l’année 40, Paulvé se rend à Berlin pour négocier avec les autorités allemandes le rachat du circuit Siritzky,un israélite installé en France depuis 1925 qui créa avec son frère la Société des Cinémas de l’Est, regroupant des salles d’exclusivité parisiennes comme le Biarritz, le Marivaux, le Max Linder, l’Olympia, le Moulin Rouge etc… et une dizaine de salles en provinces.

Mais Siritzky profite de son absence pour céder ses salles à la firme Allemande La Continentale qui, comme on le sait, cherche à mettre la main sur le cinéma français.

Mettre de l’ordre dans l’industrie cinématographique

En 1940, tout le monde du cinéma rôde à Vichy où les officiels, Jean-Louis Tixier Vignancourt et Guy de Carmoy s’efforcent d’organiser une industrie du cinéma français qui soit indépendante des Allemands. La Discina et Paulvé viennent eux aussi aux nouvelles et s’interrogent : Faut il s’y installer ?. C’est à Vichy que se décide le sort des professionnels de l’écran.

Le 2 décembre 1940 un décret va créer le Comité d’organisation des industries cinématographiques (COIC) qui doit mettre de l’ordre, tant au niveau des financements que du personnel, dans une profession qui fut souvent anarchique.

C’est ainsi que le COIC allait délivrer des cartes d’identité professionnelle, indispensable pour travailler. La nouvelle législation met en place un code rigoureux et le COIC est chargé de l’appliquer.

Chaque travailleur du monde cinématographique doit effectuer une demande auprès du service compétent, justifier de ses capacités, n’avoir encouru aucune condamnation et prouver qu’il n’appartient pas à la race juive. Les demandes sont examinées par un service spécialisé et après délibération le directeur responsable du COIC remet une carte, renouvelable tous les trimestres. Sans cette carte, impossible de travailler. Voilà donc le cinéma sévèrement organisé et « purgé » des Juifs.

Discina prend ses distances

Paulvé comprend vite que Tixier Vignancourt et de Carmoy n’auront pas le dernier mot avec l’occupant allemand qui a bien l’intention de mettre sous tutelle le cinéma français. Discina rentre à Paris, Boulevard de la Madeleine. Le 7 Octobre 41, Vichy cède l’exploitation des studios du Midi à deux sociétés et à Paulvé, ce sera la SESCA.

Toute l’habileté de Paulvé sera de faire vivre le cinéma français coûte que coûte sans se laisser prendre dans les filets de la Continentale et d’Alfred Greven envoyé par Berlin pour patronner la création Française.

(c) collection privée – D.R

Ses associés italiens d’avant-guerre, les frères Scalera, de riches hommes d’affaires qui construisaient des routes en Italie et en Ethiopie investissent dans la cinéma français. Ils sont généreux, laissent toute liberté à Paulvé qui, ainsi peut échapper à l’hégémonie allemande.

Travailler avec les transalpins, même s’ils sont passés dans le camp ennemi, permet de laisser l’imagination française de s’exprimer. C’est ainsi que peu de gens savent que Les Visiteurs du soir ont été financés en partie par les frères Scalera qui ont envoyé un jeune metteur en scène pour assister Carné au Studio de la Victorine.Il s’appelait MichelAngelo Antonioni, et possédait la sensibilité et le talent que l’on sait. Il comprit vite que l’irascible Marcel Carné ne voulait personne auprès de lui et il n’insista pas, il se contenta d’observer.

Paulvé fait travailler clandestinement des artistes juifs (en collaboration avec Maurice Thiriet et Georges Wakhevitch), le compositeur Joseph Kosma et le décorateur Alexandre Trauner, cachés à Tourettes-sur-Loup. Les tournages ont lieu à Paris, au Studio Saint Maurice,pour les intérieurs, soit, pour les extérieurs, à Nice, zone libre où se sont réfugiés tous ceux qui n’ont pas la carte d’identité professionnelle.

Paulvé louvoie habilement entre Vichy, la censure, les Allemands, il faut protéger le Cinéma Français, et il s’y emploiera de toutes ses forces. Les Visiteurs du Soir, c’est la France qui relève la tête. Le critique Audiberti est catégorique : « Nous proclamons que ces Visiteurs aux heures de l’angoisse nous apportent un puissant témoignage de la vitalité du spirituel en soi. »

Mais dès 41, Paulvé avait déjà mis les bouchées doubles. Il fallait relancer le cinéma français bloqué par les occupants allemands,et avait déjà six mois de retard sur la Continentale, évidemment favorisée. Discina a un projet : metteur en scène Christian-Jaque, scénario de Charles Spaak, acteurs Marie Déa, Gaby Sylvia, Fernand Ledoux, François Périer, Raymond Rouleau, Il va obtenir du Comité d’attribution des avances un financement accéléré, le film est en instance de tournage, Paulvé obtient une dérogation spéciale et le film peut démarrer, ce sera Premier bal.

Le COIC, on l’a vu, veut remettre de l’ordre dans l’industrie du cinéma, épurer la profession, supprimer les combinaisons plus ou moins fantaisistes et obtenir des conditions de gestion sérieuse, en échange il cherche à promouvoir la création française en concurrence avec les productions Allemandes qui bénéficient d’avantages considérables : larges octrois de pellicule denrée rare, facilités pour le matériel, l’obtention des tissus pour les costumes etc…

André Paulvé, aidé par ses partenaires Italiens va de nouveau se lancer dans un film ambitieux, ayant arraché aux griffes d’Alfred Greven le plus célèbre metteur en scène du moment : Marcel Carné.

En 1943, malheureusement, il devra abandonner son projet étonnant Les Enfants du Paradis, le 8 Septembre, les Italiens ont signé un armistice avec les alliés, et se replient en Italie où les attendent des Allemands déchaînés. André Paulvé propose alors de continuer seul l’aventure mais les Allemands refusent et c’est Pathé qui reprend ce qui va devenir un film culte, unique dans l’histoire du cinéma.

Des rumeurs courent, Paulvé est Juif, il est interdit d’activité cinématographique… A cette époque, les dénonciations vont bon train.

(c) collection privée – D.R

La Libération

L’épuration se déchaîne, toutes les figures de proue du cinéma français passent devant une commission, Carné comme Paulvé. On reproche à Paulvé son voyage en Allemagne, il répond qu’il a produit un film phare Les Visiteurs du soir, qu’il a fait travailler clandestinement des juifs, que les Italiens ont aidé le cinéma français à se relever sans jamais imposer de contraintes particulières, il bénéficiera d’un non-lieu.

Et il se remet vite au travail, il a un projet risqué, ambitieux, avec Jean Cocteau qui a déjà travaillé avec lui (L’éternel RetourRuy Blas,etc…). Le poète indifférent aux accusations qui pésent sur lui, est plongé dans la préparation de La Belle et la Bête qui sera son plus grand succès et concrétise la renaissance du cinéma français

Suivront d’autres grands films La Chartreuse de Parme, Orphée, Casque d’or…. C’est l’âge d’or du cinéma français qui fit ses premiers pas pendant les heures les plus noires de l’occupation.

Paulvé y a joué un grand rôle, il a fait partie des hommes courageux et inventifs qui ont voulu tant bien que mal préserver un espace libre à la création française ? Tâche ardue, il y avait la censure allemande, les oukases Pétainistes, les pressions nombreuses, les difficultés pour trouver de la pellicule. Entêté, le producteur n’a jamais abandonné, Discina a continué de créer.

Paulvé aimait profondément les artistes et surtout il les respectait , il a accepté les caprices de Carné et de Cocteau, parce qu’il avait compris qu’il fallait leur faire confiance, et laisser la poésie vivre sur le grand écran. Il a joué un grand rôle dans la Renaissance du cinéma français et il est étonnant qu’aujourd’hui on en parle si peu.

C’est pourquoi tous les cinéphiles attendent avec impatience le livre de souvenirs de Jean-Jacques Paulvé, son fils.

Jean-Jacques qui, en Août 42, collégien en vacances passait ses journées au studio de la Victorine à observer, fasciné, le tournage des Visiteurs du soir.

Le mois suivant, en Septembre commençait le tournage de Lumière d’été de Grémillon, une satire sociale très virulente, scénario de Jacques Prévert, amours libres, adultère…. qui scandalisa la Centrale catholique et frôla de peu l’interdiction de la censure de Vichy.

Film « maudit » qui ne correspondait pas à l’esprit de l’époque et que pourtant Paulvé, en homme libre, produisit avec obstination. On y découvrait un jeune couple : Madeleine Robinson et Georges Marchal. Autour Pierre Brasseur, Madeleine Renaud…

Le cinéma d’André Paulvé s’est efforcé de ne pas baisser pas la tête sous le régime de Vichy, même si il lui aura fallu accepter bien des compromis pour poursuivre la tâche entreprise.

(c) collection privée – D.R

André Paulvé avec Marie Déa et Maurice Chevalier

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  1. richide

     /  28 février 2015

    j’ai eu le plaisir de lui fermer les yeux à sa mort, il était un de mes malades à la fondation Alquier Debrousse 75020 en 1982
    BRIGITTE

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